rééducation ou réapprentissage ?
Le jeune T. dit à une femme qu'il rencontre pour la première fois : je n'ai plus d'éjaculation, alors ça dure vraiment longtemps. Ça vous dit d'essayer ?
Après la phase de soins intensifs vient le séjour, souvent très long, dans un service de médecine physique et de réadaptation. De nombreux problèmes se posent pour la personne traumatisée, dans une période où il retrouve sa qualité d'être sexué, avec sa libido et son regard sur lui-même et sur les autres.
Le corps est alors considéré comme une "machine" qu'il faut faire fonctionner au mieux. Médecins, infirmières, aides-soignants, kinés, ergothérapeutes, orthophonistes, appareilleurs ou psychomotriciens, tous s'approprient ce corps et cherchent à le domestiquer, à le "faire travailler".
En revanche, la sexualité est ignorée, voire niée, tant elle reste un sujet tabou, en particulier chez les personnes handicapées. Quant à l'intimité, elle est réduite au minimum.
C'est pourquoi la création de groupes de parole (réunissant personnes en rééducation, médecins, psychologues, rééducateurs et travailleurs sociaux) semble utile pour mettre la question de la sexualité en bonne place dans le "travail" de réadaptation.
Retrouver l'estime de son corps.
Il est important que l'équipe de rééducation et l'entourage s'allient pour permettre à la personne traumatisée de retrouver l'estime de son corps et de son apparence. L'objectif est que la personne prenne soin d'elle-même et retrouve l'envie de paraître et de séduire. L'habillage, la coiffure, le maquillage peuvent devenir des éléments clés de la réadaptation, au même titre que l'apport des psychologues, s'ils vont au-delà des évaluations neuropsychologiques. Les membres de l'équipe, sans perdre leur professionnalisme, peuvent aussi aider les personnes traumatisées à retrouver confiance en elles et en leur corps.
Faut-il participer à la toilette ?
"Je le touche beaucoup pendant la toilette. On est bien ensemble, c'est un échange, un moyen de communication. La toilette, c'est indispensable pour moi, c'est du corps à corps, du cœur à cœur."
Dans la pratique au quotidien, bien des questions se posent par rapport à la façon d'agir avec un corps dépendant, faible et sans défense. C'est notamment le cas lors de la toilette et des soins les plus intimes. La question de savoir si le conjoint peut y participer est à régler au cas par cas. D'un côté, le corps passif de la personne traumatisée, dévoilé et manipulé comme un objet de soins, peut perdre de son "mystère". À l'inverse, la toilette peut être vécue par certains couples comme un moment d'échanges tendrement amoureux.
Intimité et pudeur : quelles limites ?
"Ce n'est pas à une mère de voir son fils nu."
Se reconstruire un espace d'intimité est une nécessité pour tous. Cela est pourtant difficile dans un service de réadaptation fonctionnelle. Au cadre peu propice s'ajoutent les conséquences du traumatisme cérébral : vie émotionnelle instable, sentiments diffus et mal décodés, difficulté à exprimer son ressenti, et, enfin, impulsivité et désinhibition qui entraînent un manque de pudeur. Le rôle des rééducateurs et de la famille est essentiel pour canaliser, contenir et marquer des limites à ne pas franchir. Toutefois, il ne faut pas trop envahir le "jardin secret" de la personne traumatisée. Le risque est de se voir rejeter en bloc, alors qu'une présence aimante est indispensable. Un équilibre délicat est à trouver pour ne pas perturber les évolutions du comportement intime.
Des attitudes perturbantes.
Le traumatisme entraîne le plus souvent une modification des comportements, perturbante pour l'entourage et les équipes de soin. La masturbation est ainsi fréquente. Elle rassure sans doute les traumatisés sur leurs possibilités sexuelles et les aide à se reconstruire face à la difficulté de mettre en place une relation amoureuse à deux.
De même, il n'est pas rare pour le personnel de soin d'avoir à faire face à des jeux de séduction, voire de provocation : la personne traumatisée questionne l'autre pour s'assurer qu'elle est encore regardée comme séduisante. Il faut éviter que la réponse soit déplacée ou prenne la forme d'une dérision.
Impudeur et hypersexualité.
Le traumatisme se manifeste souvent par l'impudeur, voire par l'agressivité sexuelle. Cet état de fait peut avoir plusieurs causes :
● la première est la désinhibition, particulièrement liée au "syndrome frontal", c'est-à-dire la lésion de la partie frontale du cerveau qui nous permet de "contrôler" notre comportement. Ce syndrome peut également entraîner une hypersexualité,
● la seconde est la perte de repères dans les relations humaines. La personne traumatisée n'anticipe pas les conséquences de ses actes : l'action précède la pensée. Elle ne prend pas en compte la sensibilité ou les désirs de l'autre : elle est tournée vers elle-même, dans la recherche de l'amour de soi et dans le "tout est permis".
Perte de motivation.
À l'inverse (mais les deux comportements peuvent alterner chez la même personne), la personne traumatisée peut être inhibée, démotivée et dépourvue d'initiatives. Cette situation peut avoir plusieurs causes. Par exemple, dans le cas de troubles de la mémoire, la perte de la représentation du vécu amoureux avant l'accident ne permet plus à la personne traumatisée de s'investir dans ce qui n'a plus de signification pour elle.
Des réponses limitées.
Monsieur F. a bénéficié des soins les plus attentionnés de son amie, y compris pour sa toilette. Un an après, il vient seul en consultation et annonce que son amie est partie en lui disant : "J'ai envie de toi mais pas de ton corps."
Les troubles neuropsychologiques perturbent donc sévèrement la relation à l'autre, tout particulièrement dans ce qu'elle a de plus délicat : la relation amoureuse. Face à cela, les réponses médicales sont encore limitées. Il est important d'approfondir l'étude des liens entre ces difficultés neuropsychologiques et la sexualité des personnes traumatisées cérébrales.
Pour les équipes de soin et l'entourage, la vigilance est nécessaire face à des réactions "primaires" qui facilitent le passage à l'acte. Leur rôle est également d'aider la personne traumatisée à reformuler ce qu'il veut dire ou faire, pour qu'il puisse se projeter dans l'avenir, vers un but précis, et se replacer dans le cadre d'une véritable relation à l'autre.
Le cas des adolescent(e)s traumatisé(e)s.
Les jeunes traumatisés cérébraux découvrent la sexualité à travers le tuteurage de leurs parents et des équipes de rééducation, de réadaptation et d'éducation. Dans tous les cas, cet accompagnement n'est pas aisé. En plus des difficultés rencontrées par les autres jeunes à cet âge de la vie, ils doivent faire face aux contraintes physiques et psychologiques liées à la lésion cérébrale. Il faut continuer de surveiller, contrôler, stimuler, anticiper comme on le fait avec l'enfant. Ces jeunes n'en finissent pas de sortir de l'enfance alors que leur corps d'adulte se construit.
Privé de contexte et de situations pour prendre son envol et s'éprouver dans des relations avec ses pairs ou dans une relation plus intime, l'adolescent traumatisé cérébral se tourne sur lui-même et favorise ainsi un égocentrisme et un autoérotisme qui en général se prolongent. Cet état est souvent associé à des capacités d'empathie limitées : l'autre est peu présent, peu pris en compte. L'avenir du jeune adolescent traumatisé cérébral se profile dans le repli sur soi et l'isolement.